Les Médias et l’Infantilisation des Jeunes

Suivi de : Comment dynamiser le secteur de l’édition en Afrique ?

Ibuka Ndjoli
9 min readMar 21, 2018

J’ai été invité, ce 20 mars 2018, à intervenir, lors de l’émission 7 milliards de voisins de RFI, sur la question de l’édition en Afrique. Selon le mail que j’avais reçu, j’étais censé répondre, en ma qualité d’auteur et fondateur d’une maison d’édition en ligne, à la question : Comment dynamiser l’édition en Afrique ?

Bien qu’ayant décidé de m’éloigner un peu des médias afin de me concentrer sur le travail que nous faisons, j’ai accepté de participer à cette émission car c’était l’opportunité de faire entendre, à une audience plus importante, cet avis sur les problèmes de l’édition et du livre en Afrique que j’ai souvent fait connaître aux personnes de mon entourage intéressées par ces questions.

Ci-après le mail que j’ai reçu de RFI.

Capture du mail envoyé par RFI.

Grande fut ma surprise à la découverte de ce qui m’était réservé. L’on m’a posé des questions dont les réponses se trouvent sur Internet, aussi bien dans les interviews que j’ai eu à donner que dans mes propres billets. Il aurait suffi de demander à Google pour les trouver. J’ai eu l’impression de n’avoir été invité qu’en tant que “jeune” évoluant dans un secteur où l’on trouve rarement des jeunes, afin de montrer que la jeunesse africaine bouge… mais sans plus.

N’eut été le message matutinal de Mylène Flicka, fondatrice du média IRAWO, également intervenante à cette émission, je n’aurais certainement jamais fait le tweet ci-dessous pour l’annoncer aux personnes qui me suivent. C’est dire à quel point j’ai été déçu. Mais ce qui motive l’écriture du présent billet est autre chose. J’ai noté un manque de considération de la part de RFI. Il est possible que cela n’ait jamais été leur intention, mais c’est une chose que je constate depuis un certain temps déjà : l’infantilisation de la jeunesse par les médias.

J’ai horreur de deux choses : qu’on me présente comme un “jeune écrivain” ou “jeune entrepreneur” et qu’on mentionne mon âge. La remarque que j’ai faite est qu’on ne prend jamais les jeunes et leurs avis au sérieux. Nous ne semblons être là que pour remplir un quota “jeunes africains”, partager nos témoignages de jeunes qui sortent du lot, mais pas vraiment faire entendre nos réflexions.

Nos âges ne définissent pourtant ni nos compétences, ni nos expériences, encore moins notre degré de sérieux lorsque nous nous engageons dans des initiatives qui paraissent trop ambitieuses ou autrefois reservées aux plus âgés. C’est souvent au prix de longues années de durs labeurs, de recherches, de documentation et d’échecs que nous en sommes arrivés où nous sommes. La moindre des choses est de nous montrer ce respect que nous méritons.

A RFI, je reproche de n’avoir pas fait le travail basique du journaliste avant de m’inviter à participer à cette émission. Je leur reproche également de ne pas m’avoir donné l’opportunité, comme cela était convenu au départ, de me faire entendre sur cette question de la dynamisation de l’édition en Afrique. Enfin, je leur reproche de ne pas avoir cherché à savoir ce qu’est IRAWO, au point de confondre ce magnifique média avec une sorte d’éditeur en ligne auquel on envoie ses écrits. Je n’avais pas demandé à être invité, mais je demande à être respecté. Cela vaut aussi pour tout autre média qui serait tenté de m’inviter.

N’ayant jamais attendu un média pour faire connaître mes avis, je poursuis ici cet échange sur l’édition en Afrique entamé par RFI et 7 milliards de voisins.

Comment dynamiser l’édition en Afrique ?

De mon expérience en tant que fondateur de Kusoma Group, donc également des Editions Kusoma, j’ai decellé quelques problèmes que je pense majeurs lorsqu’on parle de l’édition en Afrique. De cette même expérience, j’ai tiré des leçons et découvert certaines choses qui me permettent aujourd’hui d’émettre des idées pour dynamiser le secteur de l’édition en Afrique.

A mon sens, l’édition en Afrique souffre de six problèmes majeurs liés les uns aux autres. Il s’agit du financement, des ressources humaines de qualité, de la fabrication, du pricing, de la promotion et la distribution des livres. Pour dynamiser l’édition en Afrique, il faudra résoudre ces problèmes. Je m’en vais vous les détailler.

1- Le Financement

L’on oublie très souvent que l’édition est aussi un business, et qu’un éditeur est avant tout un entrepreneur qui prend un risque financier en pariant sur une oeuvre qu’il juge pertinente et de qualité. L’édition a un coût. Chaque oeuvre acceptée par un éditeur bénéficie d’un financement lui permettant de passer du manuscrit au livre fini. Et chaque acteur qui intervient dans ce processus est (ou doit être) remunéré. Cela part de l’éditeur au maquettiste, en passant par les correcteurs et l’infographe. D’où vient cet argent selon vous ?

Le manque de financement est très souvent la raison pour laquelle les maisons d’édition prennent si peu de risques, publient si peu de livres et choisissent de faire de l’édition à compte d’auteur. Il est difficile de continuer d’investir dans l’édition de livres qui ne se vendent pas /ne se vendront pas. L’on ne peut par conséquent dynamiser l’édition sans trouver une solution au financement des maisons d’édition. Dans certains pays occidentaux, on parle d’aide à l’édition. Dans nos pays d’Afrique, il n’existe pratiquement pas de politiques du livre.

2- Les Ressources Humaines de qualité

Pour que le travail d’édition se fasse comme il se doit et que les lecteurs soient en possession d’oeuvres de grande qualité, les maisons d’édition ont besoin de ressources humaines de qualité. Or, ces talents exigent des rémunérations à la hauteur de leurs compétences et expériences. N’en ayant pas les moyens, certaines maisons d’édition se contentent de personnels peu qualifiés, ce qui a des incidences sur la qualité des oeuvres qu’elles produisent.

Peu d’étudiants en Afrique se tournent vers les métiers de l’édition, car ceux-ci ne rapportent pas suffisamment d’argent. En Afrique, lorsque vous lancez une maison d’édition, on vous demande ce qui vous est passé par la tête. Il faudrait que nous arrivions à valoriser le secteur de l’édition afin d’attirer les talents et dynamiser l’édition. Mais encore une fois, cela ne peut se faire si les maisons d’édition ne sont pas soutenues financièrement.

3- La Fabrication

La plupart des maisons d’édition en Afrique ont recours à des imprimeurs étrangers pour la fabrication de leurs livres, car elles recherchent avant tout une certaine qualité d’impression qu’il est difficile de trouver sur le continent. Or, la conséquence est que ces maisons d’édition n’ont plus un pouvoir total sur le prix final des livres qu’elles publient. Elles sont dépendantes du coût et de la quantité de tirages que leur imposent les imprimeurs. Si on ajoute à cela le coût de la livraison, on comprend pourquoi certains livres sont si chers.

Il est impossible de dynamiser l’édition en Afrique si la fabrication des livres est confiée à des acteurs étrangers. Nous devons arriver à produire nos livres sur le continent. A Kusoma Group, la prise de conscience de ce problème nous a amené à investir dans l’acquisition de matériels nous permettant de faire de l’impression à la demande. Cela résout le problème de la fabrication de nos livres et nous permet d’éviter des stocks d’invendus.

4- Le Pricing

Le coût parfois trop élevé des livres publiés en Afrique est une conséquence du problème précédent. Mais au-delà des imprimeurs, de nombreux acteurs de la chaine du livre en sont également des causes. Tout le monde dans la chaine veut sa part du gâteau, en partant de l’éditeur au libraire, en passant par le distributeur et le diffuseur. Il n’est dès lors pas étonnant que l’auteur ne se retrouve qu’avec 10% de royalties. Pour s’en sortir et satisfaire ces différents acteurs, l’éditeur n’a d’autres choix que de fixer des prix parfois trop élevés.

Il est vrai qu’en tant qu’oeuvre de l’esprit, un livre ne peut pas être trop cher. Cela dit, nous ne pouvons ignorer les réalités de nos pays. Nous n’avons pas la culture du livre dans la plupart d’entre eux. Avoir des livres dont les prix sont inaccessibles pour la majorité de la population n’aide en rien. Il faudrait que nous fassions l’effort de supprimer certains acteurs de cette chaine ou trouver de nouvelles méthodes pour effectuer leurs tâches, afin de réduire les coûts des livres et permettre à davantage de personnes de se les procurer. L’on ne peut non plus continuer d’ignorer l’importance et l’impact du livre numérique. Sa fabrication demande moins de coûts ce qui permet de le vendre à des prix abordables. Il est aussi à noter que sa distribution est également plus simple.

5- La Promotion

L’un des plus grands problèmes du livre en Afrique est la promotion. Il faut savoir que le livre est un produit comme n’importe quel autre. Sans une véritable stratégie de promotion et de vente, il est impossible qu’il soit connu et acheté par les lecteurs. Or, la promotion également a un coût. Il est difficile pour les maisons d’édition d’Afrique d’investir dans la promotion de chacun des livres qu’elles publient, car elles n’ont pas les fonds nécessaires pour le faire. La plupart font alors le choix de n’investir que dans les livres d’auteurs dont elles peuvent garantir le retour sur investissement, ce qui lèse bien entendu les nouveaux auteurs et empêche la découverte de nouvelles plumes.

Pour cette question de la promotion des livres, l’on ne peut ignorer le pouvoir du numérique. Malheureusement, celui-ci est encore mal voire peu exploité. Il faudrait que les maisons d’édition songent à intégrer le numérique dans leurs stratégies, car leurs cibles se trouvent aussi sur Internet et les réseaux sociaux. Mais au delà du numérique, il y a une faible implication des médias dans la promotion des livres. Dans les pays occidentaux, la sortie d’un livre est un événement. En Afrique, c’est à peine si on entend parler. Or, les lecteurs ne peuvent acheter ou lire ce dont ils ignorent l’existence.

6- La Distribution

Les livres africains circulent difficilement en Afrique. Même s’il est promu comme il se doit, un livre publié au Sénégal n’est pas toujours disponible au Gabon, et ce, même des mois après sa publication. Puisque la promotion ne dure jamais bien longtemps, le livre est très vite oublié, remplacé par de nouveaux livres. Et le processus se répète. Nous avons de ce fait toujours de nouveaux livres publiés, mais les ventes ne volent jamais très haut. Les plus coriaces des lecteurs se tournent vers les versions numériques. Mais là encore, lorsqu’elles ne sont pas inexistantes, il est difficile de se les procurer.

La solution au problème de la distribution des livres exige que les éditeurs des différents pays d’Afrique travaillent de concert. Au lieu d’attendre la demande et se charger de la livraison, l’éditeur d’un livre au Sénégal pourrait permettre la fabrication de ce livre au Gabon afin que celui-ci soit disponible en même temps dans les deux pays. On procéderait par l’impression à la demande afin d’éviter les stocks inutiles. Cela permettrait à l’auteur d’être connu et vendu au delà de ses frontières, et aux éditeurs de gagner en terme de revenus.

Je ne prétends pas avoir les solutions au problèmes de l’édition en Afrique, ni les réponses pour dynamiser ce secteur sur le continent, mais il me fallait partager ces idées que je garde depuis longtemps déjà, dans l’espoir de voir un jour l’édition en Afrique rayonner comme c’est le cas dans les autres régions du monde.

Je rêve d’un monde où l’édition est simplifiée et la lecture démocratisée; un monde où lire sera comme regarder la télé : accessible à tous. C’est pour faire advenir ce monde et réaliser ce rêve que nous avons lancé Kusoma Group.

Je suis Ibuka Ndjoli, auteur et entrepreneur africain, fondateur d’une start-up appelée Kusoma Group, qui permet aux éditeurs et auteurs de livres africains de vendre simplement leurs livres aux lecteurs du monde. Je partage mon expérience, mes réflexions ainsi que des astuces sur ce blog que j’ai nommé Ibuka Sharing. Je suis également plus ou moins bavard sur Twitter. Suivez-moi => @ibukandjoli

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Ibuka Ndjoli

Author of 6 books | Founder of @kusomagroup | Passionate about Online Business, Education and Digital Marketing. I share my journey on https://ibukasharing.com